Apprenantes durant plusieurs années au sein de l’Institut de Bijouterie de Saumur, Agathe Léonard et Camille Ryo ont décidé de s’envoler vers le Canada, et plus précisément le Québec, pour poursuivre leur formation comme bijoutière joaillière. Le décalage horaire ne nous a pas empêché de caler une visioconférence pour échanger sur leurs parcours réciproques et comprendre pourquoi elles avaient fait le choix de traverser l’Atlantique pour de nouvelles aventures. Rencontre !
1- Bonjour Camile et Agathe, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Camille : Bonjour, après mon baccalauréat, je me suis inscrite à l’Université de Nantes où je suis restée 1 an dans un cursus Histoire de l’Art et Archéologie. Mais je n’étais pas convaincue et j’ai passé les tests pour intégrer le CAP Art et Techniques de la bijouterie en 1 an. Après ça, j’ai trouvé une entreprise et j’ai débuté une alternance à Limoges. Les trois années qui ont suivi m’ont permis de passer un CAP sertissage et une Mention Complémentaire en Joaillerie. C’est après ce dernier diplôme que je me suis envolée vers le Canada
Agathe : Bonjour, alors mon parcours est un peu différent. Je savais déjà que je voulais faire de la bijouterie mais j’ai commencé en fac par un cursus en Lettres Modernes. J’ai finalement opté pour le bijou et j’ai passé un CAP Bijouterie en un an puis une Mention Complémentaire en Joaillerie. J’ai été en alternance dans une entreprise parisienne et j’ai rencontré Camille durant l’année de Mention. Et c’est à cette occasion que l’idée de partir au Québec ensemble a germé !
2- Comment est né ce projet de partir au Québec ?
C+A : Déjà nous avons senti que le courant passait bien entre nous et nous avions toutes les deux l’envie d’ailleurs et de voir autre chose. Les vies que nous menions ne nous convenaient plus vraiment. Les entreprises ne nous poussaient pas à sortir de nos zones de confort pour avancer et apprendre plus. Nous sentions que nous tournions en rond et que nous arrivions au bout d’un process. L’envie de voyager était également très présente, il ne restait qu’à sauter le pas. Nous avons commencé les démarches administratives en janvier 2019
Nous avons fait appel à une plateforme qui s’appelle Québec Métiers d’Avenir qui répertorie les centres de formations et qui nous a aidées à constituer nos dossiers. Nous avons mis 6 mois pour rassembler les papiers, obtenir les visas. Avec une date butoir : la rentrée avait lieu en octobre 2019 au Centre de Formation Professionnel (CFP) Maurice-Barbeau. Nous avons choisi cette école car elle était plus professionnalisante avec quasiment que de la pratique en atelier.
3- Comment cela se passe quand on décide de partir à l’autre bout du monde ? Comment s’organise le quotidien ?
C+A : Nous avions contacté une propriétaire avant notre départ de France. Il faut aussi avoir en tête que les démarches administratives sont bien plus simples au Canada qu’en France. Trouver et « réserver » un appartement a été facile et nous avions notre appartement avant d’arriver ici. Nous sommes en colocation avec deux autres personnes et c’est vraiment chouette. Notre propriétaire est absolument adorable, elle est même venue nous chercher à l’aéroport. Le fait de partir à deux était aussi très rassurant car même avec toute la préparation possible, on ne sait pas ce qu’on va trouver en arrivant et comment vont se goupiller les choses. Le fait d’avoir trouvé cette colocation était déjà un poids en moins pour faciliter notre arrivée.
D’une manière plus pratique, la procédure se passe assez simplement à condition de bien rassembler les documents et d’être patient :
- Avoir la lettre d’admission dans une école ou un centre de formation
- Obtenir son CAQ c’est-à-dire un Certificat d’Acceptation à Québec
- Postuler pour un permis d’études
Pour l’acceptation à Québec, cela a été très rapide. Mais pour le permis d’études, il y a une enquête où les autorités vont vérifier si vous êtes financièrement indépendant. On doit donc avoir une somme bloquée sur un compte ou des garants.
Après le fait d’être français aide énormément. Dans le domaine de la santé, nous sommes rattachées à la sécurité sociale car nous avons le statut étudiant et nous n’avons pas eu besoin de souscrire une assurance privée. C’est aussi un souci en moins car les dépenses de santé peuvent être très élevées.
4- Pourquoi avoir choisi Québec ? Pour la langue ? Pour l’image qu’on en a ?
C+A : Indéniablement la langue a pesé de manière importante dans notre choix. Nous avons un temps pensé à Montréal mais nous voulions une ville plus petite, à taille humaine et Québec coche toutes les cases d’une jolie qualité de vie. De plus, pour s’introduire à la vie, la culture et la mentalité de l’Amérique du Nord, c’est vraiment parfait.
5- Quelles sont les grandes différences avec la France ? Qu’est-ce qui vous a marqué dès votre arrivée ?
C+A : La langue !! Le français que l’on parle ici est très différent du nôtre. Il faut s’adapter à l’accent, aux expressions. Les paysages sont totalement différents, la ville est grande, géométrique, avec ses grandes avenues très larges. C’est vraiment comme dans les films et cela n’a rien à voir avec nos villes européennes anciennes. Tout est grand, c’est l’Amérique du Nord tout en parlant français. Il y a quelque chose de rassurant mais le dépaysement est total et bien présent.
6- Comment est-on accueilli ?
Camille : quand on vient comme en touriste, les gens sont vraiment très gentils et ouverts. D’une manière générale, les habitants de Québec sont accueillants et vous font se sentir bien chez eux.
Agate : Je rejoins Camille sur ce point mais je dirais quand même que c’est assez difficile de se créer un réseau et un socle d’amis. Les français restent souvent entre eux, les canadiens sont habitués aux arrivées et aux départs, aux gens qui ne restent qu’un temps sur place en raison des visas. Cela fait partie des inconvénients de l’expatriation, il faut du temps pour connaitre du monde et s’intégrer dans la vie locale en sortant de sa propre communauté. La vie est bien moins stressante, c’est une vie plus tranquille aussi. Il se dégage une atmosphère apaisante partout, y compris dans les relations avec les gens.
7- Parlez-nous de votre rentée au CFP Maurice-Barbeau
C+A : C’était très intéressant mais totalement différent de ce que nous avions expérimenté en France. La formation n’est pas construite de la même manièredans le sens où, ici, elle est individualisée. Vous allez certes rentrer avec un groupe d’élèves mais la progression ne se fait pas sur le groupe mais sur la personne. Vous avancez à votre rythme, vous enchainez les modules. Ici, chaque module correspond à une technique que doit connaitre un bijoutier et vous les validez à votre rythme. Les modules sont validés par un examen et un examen blanc. Mais si vous ratez le module, vous pouvez le repasser ultérieurement. La pression de l’examen final n’existe pas ici. Attention néanmoins, il faut bien valider tous les modules pour avoir le diplôme.
Les premières semaines nous sommes allées très vite, car il s’agissait de revoir les bases acquises durant le CAP, preuve que notre formation française était déjà très bonne. Dans les ateliers, vous êtes mélangés avec des niveaux plus avancés, donc c’est super car cela permet de discuter, de s’aider et d’apprendre les uns des autres. L’école a plusieurs professeurs et chaque jour, vous avez un prof différent avec ses techniques et sa manière d’expliquer. De plus, chaque élève a son référent. La formation est aussi intense qu’à Saumur mais c’est difficile de comparer deux modes d’évaluation qui ne se ressemblent pas. Ici, la formation inclut de la bijouterie, de la joaillerie, du sertissage, de la gemmologie, de l’histoire de l’art… C’est comme si vous faisiez plusieurs diplômes en un. Nous apprenons aussi à réaliser des CV et des lettres de motivation pour pouvoir nous insérer dans le tissu économique canadien, car le recrutement ne se fait pas de la même manière.
Nous avons aussi pu réaliser une petite production de bijoux que nous avons vendue dans des boutiques autour du CPF. C’était une super expérience qui nous a confrontées au public et à ses attentes en tant que client. Le projet a été monté par les élèves qui ont contacté les bijouteries de la ville pour créer des partenariats… L’école se compose de 50% de français et 50% de Québécois donc c’est assez génial pour les projets car nous devons confronter nos manières de voir les choses et nos cultures différentes mais complémentaires pour créer quelque chose.
8- Il y a quelque chose de plus commercial, non ?
C+A : Ici, tout a une vocation business. Entreprendre, créer son entreprise, avoir des clients, essayer, réessayer, cela fait partie de mode de fonctionnement du pays. Nous avons dit que c’était plus simple au niveau administratif, mais même pour monter une entreprise, c’est facile. Beaucoup de jeunes, ici, s’installent à la fin de leur formation. Nous sommes poussés à ça par le pays et sa culture. Les canadiens sont très ouverts sur toutes les formes de bijouterie. Du coup, nous nous retrouvons plus dans cette approche du bijou telle qu’elle existe ici car les canadiens aiment les bijoux dans leur ensemble : haute joaillerie, joaillerie créative, bijoux fantaisies… Il y a une grande tolérance dans la créativité et le pays pousse à l’exprimer. L’acquisition du métal est aussi plus facile. En tant qu’étudiantes, nous avons pu acheter de l’or pour travailler, faire des cadeaux…
9- Ça coûte combien de se former là-bas ?
Camille : Alors, comme nous sommes françaises et qu’il existe un partenariat entre la France et Québec, la formation nous revient à 800$ pour 18 mois. Nous payons donc le même prix que les Québécois.Mais un étranger qui viendrait d’un autre pays ne serait pas logé à la même enseigne et la formation lui coûterait alors dans les 12000$. C’est aussi pour ça qu’il y a beaucoup de français sur place. Financièrement c’est vraiment valable. Après, tous les jeunes ont aussi un petit boulot ici. Les cours finissent à 15.30 donc c’est assez simple de trouver un petit travail en fin d’après-midi ou début de soirée. Les CV que nous avions posés ont trouvé preneurs en moins d’une semaine.
10- Et du coup, vous rentrez ou vous restez ?
Camille :Pour ma part, je ne veux pas rentrer avant très longtemps. J’ai envie de rester dans ce pays et d’y construire quelque chose.Je m’y retrouve vraiment professionnellement parlant. J’aime particulièrement l’esprit de ce pays et je m’y sens chez moi. Dans un premier temps je vais demander un permis de travail pour prolonger mon permis d’études. Cela me donne donc 18 mois supplémentaires. Ensuite, plus tard, je veux faire une demande de résidence permanente pour pouvoir rester ici. Je me laisserais bien tenter par une autre province, anglophone cette fois
Agathe : Je pense rentrer, même si j’aime énormément ce pays. Mais ma famille est loin et elle me manque. Mes ami(e)s aussi. Et pourtant, je n’ai pas envie de me retrouver sur le marché du travail français car, vraiment, ici tout est plus simple. Mais on verra bien !
11- Histoire de finir cette interview sur une note humoristique, dites-nous si la poutine c’est vraiment bon ?
C+A : Oh la la, c’est très très bon. Il existe des recettes très nombreuses, des variantes pour tous les goûts, donc vous trouverez forcément une poutine qui vous ira. On trouve forcément son bonheur. Bon, après, il ne faut pas venir ici pour la gastronomie. Ça a été un gros choc culturel pour nous arrivant de France, ce pays où on mange remarquablement bien. Ici, on mange à l’américaine, beaucoup de bacon, de produits transformés ou très transformés. Les légumes coûtent chers. En somme, on peut vite très mal manger. Il faut donc être attentif à ce qu’on achète et trouver des correspondances avec ce que nous achetions en France. Mais en faisant attention, on arrive à très bien se nourrir !